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C'est à Ault-Onival, petite station balnéaire de la côte picarde que j'ai découvert la mer, son flux et son reflux. Les pleines eaux et les mortes eaux. J'avais huit ans et un maillot de bain en laine tricotée, modèle 1957 à pompon seyant à souhait surtout lorsque, à force de station accroupie au dessus des vaguelettes qui avaient léché le fond de culotte, je me retrouvais debout avec l'entrejambe irritée par la laine mouillée dans laquelle s'était traîtreusement glissé quelques grains de sable.

Odeur enivrante du varech à la basse mer dans lequel se cachaient tout un petit monde de crabes, bigorneaux et crevettes grises qui échouaient dans le seau du grand chasseur moulé dans son maillot distendu qui aurait pu en contenir deux comme moi.

La marée montante contre laquelle je luttais avec ma pelle pour tenter, en devinant toutefois la vanité de l'entreprise, de construire un château que je regardais quelques temps après se dissoudre sous l'assaut des vagues.

La marée avec ses odeurs suspectes s'échappant de la cale d'un bateau de retour de pêche amarré dans la vase grise et menaçante au quai de granit du Tréport.

Odeur de marée encore à la halle aux poissons du marché de Nancy où ma mère avait ses habitudes et où les cris des poissonniers pour vanter leurs marchandises ne couvraient pas complètement les senteurs iodées.

La mer avait pour moi un parfum féminin, un peu sauvage et vaguement dégoûtant. " Ça sent la crevette!" disait-on parfois pour se moquer des filles qui s'échappaient toujours de nos lamentables filets d'apprentis dragueurs.

La mer, son flux. Ma mère, son flux menstruel et ses serviettes "hygiéniques" qui baignaient chaque mois dans un seau trônant dans la salle de bain d'où émanait une odeur aussi suspecte que la couleur rouge du sang dans lequel elles dégorgeaient avant de terminer dans la lessiveuse bouillonnante.

La mer et la baignade heureusement presque toujours prohibée à Ault du fait de la température.

Les indispensables leçons de natation à la piscine de Nancy-Thermal sanglé dans ma ceinture de natation en liège tel un rescapé du Titanic ne sachant trop ce que je redoutais le plus, des encouragements bruyants de ma mère, grande nageuse devant l'Éternel, à tu-et-à-toi avec ce foutu maître-nageur issu comme elle de la grande famille des PTT ou de cette sournoise profondeur liquide dans laquelle j'allais encore boire quelques tasses.

Adolescent, je décidai de ne pas savoir nager, pour faire comme mon père sans doute... Gêné et presque écœuré par l'image que me renvoyait ma mère en maillot de bain, toutes chairs débordantes sur la berge de la Moselle qui accueillait parfois en été du côté d'Aingeray les ébats aquatiques que j'abhorrais.

C'est ainsi que je ne mettrais pratiquement pas les pieds dans la méditerranée durant les folles vacances adolescentes sur la Costa Brava.

Ce n'est que bien plus tard, sur les rivages sauvages des Côtes du Nord, du côté de Trégastel qu'avec femme et enfants, je retrouverai le goût de la baignade, dans une eau vivifiante à souhait de laquelle je ressortais grelottant, engouffrant compulsivement des galettes bretonnes pour réchauffer ma pauvre carcasse dénuée de graisse.

Plus tard encore, à Toulon, je découvrirais l'ivresse de la plongée en apnée sous le regard attentif de mon fils, nageur émérite qui m'entraîna joyeusement à l'agachon.

J'échouai finalement, à l'âge de la retraite, comme beaucoup de vieux ayant quelques économies compatibles avec les prix exubérants de l'immobilier, dans une petite ville balnéaire Varoise où les plus de soixante ans, venus terminer leurs jours sous le soleil, envahissent, comme s'ils étaient chez eux, les rues et le bord de mer.

Ne manque que le parfum de la marée!

 

La Marée

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